axel benaben.

L’épistolaire, grands-parents et racines.

L’Épistolaireest un journal photographique indépendant dont l’impression ne saurait tarder. Il répond à un besoin d’expression sur des sujets divers, une expression aussi bien visuelle qu’écrite, et tout à fait personnelle. La création de ce format fait écho à une quête de réponse sur des questions que je ne me pose pas forcément, par peur, manque d’intérêt ou simplement par habitude ; mêlant opinions, pensées et sources académiques.

Introduction (l’apéro)

L'apéro.

Nos grands-parents nous inscrivent dans l’histoire. Ils sont ceux qui nous rattachent à nos racines, qui nous racontent les secrets de familles et nous accueillent les vacances durant. Ils sont le pont entre le passé et le futur, par le biais d’histoires, de lieux ou de repas servis sur cette nappe datée en toile cirée que l’on est toujours ravi de retrouver. Ce sont souvent des repas à rallonge, qui commencent tôt en fin de matinée et s’étirent jusqu’à l’après-midi, suivis d’un café filtre et d’une sieste pour la bonne mesure. Un mercredi de plus passé au Palais de la Découverte, un documentaire sur Pompéi, une glace au cassis en bord de mer pour clore le paseo ; les grands-parents ne dérogent pas à leurs petites habitudes, tâchant de les répartir équitablement entre les deux petits-fils. Ce sont eux qui nous gardent lorsque les parents sont au travail, en vacances ou ont simplement besoin d’une pause, eux qui nous emmènent voir les expositions d’artistes de leur jeunesse, plus impliqués encore que le guide du musée.

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Les parents de nos parents ne nous font pas seulement faire des dictées et réciter les rois de France, ils nous apprennent l’art du commérage, la recette du poulet-purée parfait, comment bien choisir une branche de noisetier pour créer un arc souple mais résistant, ils nous rappellent qu’à leur âge on ne voudra se souvenir que des bons moments, que les moins bons sont là pour le contraste ; et le contraste, en peinture, c’est primordial. Nos grands-parents sont une leçon d’éducation qui n’existe pas à l’école. Cette leçon, il faut être un grand-parent pour la donner, et un petit-enfant pour la recevoir.

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Le repas.

Un beau matin de septembre, me voilà dans le métro parisien en direction de la Gare Montparnasse. Ligne 13, Hall 1, Voie 5, et je suis dans le TGV no. 8337, voiture 11 place 51. C’est un vendredi, le temps est lourd, je retrouve mon frère à Bordeaux et allons chez notre oncle et tante. Après un an et demi sans les voir, voici enfin l’occasion de retrouver nos grands-parents, qui sont en maison de repos. C’est la première fois que je suis amené à visiter un endroit de la sorte, un endroit spécialement créé pour accueillir des personnes pour qui le chemin arrive à sa fin.

Les retrouvailles sont émouvantes, chez mon oncle, tous autour de la table, comme si rien n’avait changé en un an et demi. Rien, mise à part la taille de mes cheveux et le nombre d’anneaux argentés pendus à mes oreilles. Gratin de patates et escalope de veau arrivent sur la table alors que mon végétarisme la quitte, nous mangeons de bonne heure. Les grands-parents sont plus faibles qu’un an et demi auparavant, il faut les aider à couper l’escalope, mon grand-père glisse sur le côté de sa chaise en marmonnant. Les discussions restent de surface, quoi de prévu pour la rentrée ? Vous repartez quand ? Ça fait plaisir de se retrouver ! Vous repartez quand ? C’est bien ta nouvelle coupe de cheveux, on voit tes oreilles comme ça. Dans ma tête repassent les discussions animées auxquelles j’ai pu assister plus jeune, sur le temps que mon grand-père a passé aux Kerguelen, celui que ma grand-mère a passé à Lyon chez les bonnes-sœurs. Une autre époque. L’histoire des châteaux du Pays Cathare, la recette des meilleures îles flottantes, comment la salle de bain de l’appartement dans lequel mon père et mon oncle ont grandis servait de chambre noire pour le développement des pellicules de mon grand-père. Je me rappelle de l’un de leur dernier grand voyage, au Tchad il y a plus de dix ans je pense. Je me rappelle l’expression de ma grand-mère, toute fière, lorsqu’elle nous décrit l’air estomaqué du médecin alors qu’elle lui annonçait qu’ils partaient pour dix jours de bivouac dans le désert. J’ai toujours l’image de mes grands-parents comme les amoureux du voyage qu’ils sont, amour qu’ils ont perdu la possibilité d’exprimer. Me reviennent alors en tête les vidéos de mon frère et moi que j’ai retrouvées au fond d’un caméscope qui prenait la poussière chez eux. On passait il y a plus de dix ans des semaines chez nos grands-parents, dans cette grande maison un peu flippante au fin fond de la Bourgogne, perdue au milieu d’autres maisons plus ou moins habitées. On se réveillait au son de la camionnette de la boulangère le matin, et on s’endormait au son du crépitement de la cheminée, après une bonne tisane précédée d’un repas consistant. J’aimerais bien retourner dans cette maison.

Après le dessert, le café-filtre, la sieste de bonne mesure et une visite de la dernière-née de l’élevage de chiens de Saint-Hubert de mon oncle et ma tante, puis il est malheureusement temps de retourner à la maison de repos.

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L’après-sieste.

Il n’y pas nécessairement de rôle-type des grands-parents. De mon simple point de vue de petit-fils, je ne sais pas trop où se posent les limites de leurs rôles. Je vois principalement mes grands-parents en vacances, premièrement parce qu’ils n’habitent pas nécessairement à côté de chez moi, mais aussi parce qu’au cours du temps et de la construction de mes habitudes de vie (avec mes parents dans un premier lieu), les vacances ont été établies comme le moment de prédilection pour passer du temps avec mes grands-parents. C’est un temps durant lequel on peut vivre au même rythme, vivre ensemble pour de vrai. Les grands-parents deviennent donc, d’une certaine manière, synonyme de vacances.

Outre cela – et je l’ai déjà évoqué – mes grands-parents ont joué un rôle prédominant dans la culture qui m’accompagne aujourd’hui. Je me souviens de films, d’expositions, de livres que j’ai découvert grâce à eux. Mais tout ne se joue pas à la culture, ils m’ont également transmis des habitudes, des manières de faire, du savoir sous toutes ses formes (pratique, émotionnel, historique, familial…). Les grands-parents ont ceci de précieux qu’ils sont des figures paternelles sans être vos parents. Parfois plus doux, parfois moins, offrant un point de vue différent de celui des parents, pour le meilleur comme pour le pire. La différence générationnelle, plutôt flagrante, entre grands-parents et petits-enfants permet un échange apportant aux deux parties, des conversations qui sortent de la bulle habituelle des copains du quotidien. Les avis divergent souvent, mais la confrontation les enrichit (je pense).

Sans réellement chercher de réponses, je pense qu’il reste important de questionner même ce qui paraît évident. Les grands-parents sont une certaine forme d’évidence. Ils sont là, ou ils l’ont été, et ils font partie – d’une manière ou d’une autre – de la vie des petits enfants, par leur présence ou leur absence*. Même sans aller à leur rencontre régulièrement, on entend toujours leurs voix dans les messages vocaux qu’ils laissent encore sur nos répondeurs. La voix de mes grands-parents résonne encore dans le dictaphone de mon téléphone, noyé au milieu d’innombrables conversations, bruits de cigales et enregistrements des performances musicales de mes amis. Cet enregistrement du mois de juillet 2020 encapsule l’avant d’un repas chez mon oncle, un midi en été sous le soleil des Landes. Restées intouchées dans mon téléphone pendant plus de trois ans, ces 20 minutes de discussion sont une sorte de capsule, renfermant des souvenirs qui s’étalent sur des décennies ; des souvenirs de voyages, de rencontres, de repas dans le désert égyptien en compagnie d’un fennec, et bien d’autres.

Même dans leur absence (pour x ou y raison), les grands-parents restent dans la vie des petits-enfants, au détour de conversations, de photos, de leçons.

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